Le clown blanc

Assis à sa table de maquillage,
le visage figé, sans âge,
le clown solitaire retire
ce masque blanc de délire.
         
D'un geste précis,
il ôte les habits
d'un cœur voilé ;
les larmes ont coulé.
           
Sa patience sans nom
le pousse dans la déraison :
les souvenirs affluent
et le regard se dilue
à la recherche du pourquoi
de tant de désarroi.
          
Il revoit la danseuse aux serpents
qui d'un regard l'a envoûté, fervent.
              
Cette beauté ondulante sans nom
que les hommes brûlent de passions
n'ont pour elle qu'attirance
alors que lui a compris la danse.
             
De cette femme à l'âme de vestale,
il connaît tout de la délicatesse florale.
             
Le nouveau trapéziste s'en est épris
et le clown connaît déjà ce qui suit :
elle ne le sait pas encore
qu'il n'aimera que son corps.
            
Autour de la roulotte,
le clown erre et grelotte.
Il sait sa belle dans ces bras prise
et un froid de banquise
envahit ce soir d'été.
                       
... Les jours ont passé ...
             
Le cirque se déplace
et, de place en place,
de maquillage en maquillage,
le clown change de paysage.
                  
Peu à peu, il a pu apprivoiser
sa beauté, mais d'amitié.
             
Toujours aussi belle,
malgré la vie cruelle :
son voltigeur s'est envolé,
la laissant, oiseau blessé,
sur le bord de la piste,
dans sa vie de soliste.
                     
Le clown sait qu'il faudra patience
pour conquérir ce coeur méfiance :
les hommes l'ont trop blessée
et elle a chuté, brisée.
                  
Les regards les plus silencieux
peuvent être lourds d'aveux !
                 
Sous le ciel du chapiteau,
il attend le renouveau.
En spectateur, il regarde
sa belle qui parade.
              
Lui seul sait son chagrin
et connaît le destin
de cette femme de chevilles
qui est restée chenille.
               
Ses bracelets d'or miroitent
sur sa peau ambre et moite.
Son regard est de cire,
seuls ses gestes vibrent.
                  
Un rituel s'est peu à peu installé :
il la retrouve au soir étoilé
et leurs conversations en pointillés
deviennent de longs apartés.
            

Le clown enfin espère
qu'elle se libère
de ses serpents du passé
qui la maintiennent enchaînée.
               
A sa table de maquillage,
le clown reprend visage. 
Aujourd'hui, il ne pleure plus :
il sait les impossibles vaincus.
            
Ce matin, sa vestale a souri
avec une douceur qui brille,
visage aux  tendres rubis
d'un possible paradis.
                  
Certaines histoires d'amour
se fixent sur de longs jours.
            
Le clown blanc
et la danseuse de serpent
ont côtoyé ce temps fragile
d'un apprivoisement difficile.
                  
Le clown donne sa main nue...
         
En attendant, le spectacle continue.
            
         
 © Sandra Dulier

Commentaires

  1. Bonjour Sandra,

    J'ai été transporté par l'histoire du clown solitaire et de la danseuse de serpents, qui sont tous deux à la fois fragiles et forts.

    J'ai été touché par la manière dont le clown cherche à aider la danseuse à se libérer de ses souffrances passées.

    Je retrouve votre plume à la fois dense et délicate.

    Bon week-end.

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    1. Merci pour votre lecture et votre appréciation. Grâce à vous, je relis ce texte écrit il y a bien longtemps. Bon week-end.

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  2. Vos poèmes contés, je les adore, chère magicienne.

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Merci pour votre regard et au plaisir de vous lire.